Congé sans solde et droit social : le regard d'un avocat

Publié le 29 Janvier 2019

Les conditions d’application du congé sans solde ne sont pas toujours explicitées en détail aux salariés. Un flou demeure notamment en ce qui concerne les conditions de retour à l’emploi et l’obligation, parfois bafouée, de réintégration du salarié à l’issue du congé. Me Octave Lemiale, avocat au Barreau de Paris depuis janvier 2010, est un spécialiste du droit social. Il défend beaucoup de salariés victimes de violations de leurs droits et conseille l’employeur qui souhaite procéder dans les règles, résoudre un contentieux à l’amiable ou se défendre alors qu’il a respecté les règles. Dans cette interview, il clarifie les règles d’application du congé sans solde, revient sur les droits et devoirs de chacun et nous aide à comprendre les tenants et aboutissants de ce congé bien particulier.
 

I- Congé sans solde, ce qu’il faut savoir

Avant toute chose, il est nécessaire d’établir la distinction entre le congé sans solde (ou congé pour convenance personnelle) du congé sabbatique, lequel a été institué par une loi débattue en 1983, à l’époque où il y avait encore un ministère du temps libre...
 

a) Le congé sabbatique, 36 mois d’ancienneté minimum

Le congé sabbatique est réservé aux salariés ayant une ancienneté dans l'entreprise d'au moins 36 mois, consécutifs ou non, ainsi que de 6 années d'activité professionnelle (C. trav. art. L.3142-92), dont la durée est comprise entre 6 et 11 mois (C. trav. art. L.3142-91).


b) Le congé sans solde : un accord employeur-salarié

Le congé sans solde n’est soumis à aucune condition de ce type, ni en terme d’ancienneté, ni en terme de durée.  Sa durée et ses conditions sont fixées d’un commun accord entre l’employeur et le salarié. L’accord du premier est d’ailleurs obligatoire, sauf lorsqu’un accord d’entreprise ou une convention collective prévoit le contraire (ex : article 6.4 de la Convention collective de l’animation). Lorsque l'on a un projet, je conseille donc de commencer par consulter le ou les accords applicables à l’entreprise pour vérifier si l’on peut imposer son choix à l’employeur. Je précise, en tant que de besoin, que la liste de ces accords et le lieu où ils sont accessibles (intranet si l’entreprise en est dotée) est obligatoirement fournie par l’employeur (C. trav. art. R.2262-1), lors de l'embauche ou par voie d'affichage. 
 

« Le congé sans solde n’est pas rémunéré…Cependant, l’accord employeur-salarié peut prévoir l’utilisation du compte épargne temps, et même certaines convention collectives prévoient que c’est un droit ». (ex : article 6.10 de la Convention collective de l’animation)


Enfin, il faut savoir que le salarié cotise pour sa retraite uniquement dans le cas où la prévoyance de l’entreprise la prend à sa charge, mais cela reste très théorique. Le projet doit donc être prévu en ayant conscience que ni les trimestres ni aucune cotisation ne seront pris en compte, ce qui n’empêche évidemment pas de mettre en place une prévoyance retraite volontaire. En outre, le salarié faisant toujours partie des effectifs, il reste bénéficiaire de la mutuelle à laquelle l’entreprise aurait souscrite, mais aussi aux cotisations, le cas échéant.

Une fois mis en place, le salarié n’a aucune obligation de justifier de son utilisation (Cass. Soc. 13 février 2001 n° 98-43.047). Je conseille néanmoins, dans la mesure où le salarié est désireux de mener son projet tout en restant en bons termes avec son employeur, d’informer celui-ci. En effet, tout n’est pas possible pendant le congé sans solde et il vaut mieux éviter les mauvaises surprises.
 

II- Congé sans solde et suspension du contrat de travail

Il faut avoir à l’esprit que le congé sans solde entraîne la suspension du contrat de travail, mais pas sa rupture. Durant cette période, le contrat de travail continue donc de produire l’une de ses obligations essentielles : la loyauté du salarié vis-à-vis de l’employeur, ce qui interdit au salarié de se livrer à toute action qui ferait concurrence à son employeur. Il s’agit notamment du travail pour un concurrent, exemple facile, mais aussi des actes de création de société (dépôt des statuts, publication de l’annonce légale).
 

Je me souviens d’un salarié qui avait été licencié pour faute grave après avoir créé son site internet annonçant l’ouverture prochaine d’une entreprise concurrente de celle de son employeur, pendant son congé sans solde… Il a été licencié pour faute grave. Il n’y avait rien à faire de ce côté car le licenciement avait été fait rigoureusement. J’ai ouvert le dossier parce que le salarié avait été rémunéré au forfait-jour sans que les règles ne soient respectées, ce qui lui donnait droit à un rappel de salaire sur la base de 35 heures, et l’on pouvait remonter sur 5 ans. Mais c’est une autre histoire.


III- Congé sans solde : retour à l’emploi et abus des employeurs

a) « La garantie d’emploi au retour n’existe que dans la mesure du possible. »

A l’issue d’un congé sans solde, l’entreprise a l’obligation de réintégrer le salarié à un poste équivalent, en conservant le bénéfice du grade qu'il avait au moment de son départ et la rémunération correspondante (ex : Cass. Soc. 2 juillet 1987 n° 84-43.211). Mais nous allons voir que cette « obligation » n’en est pas une à proprement parler…

Le contentieux le plus fréquent est celui qui naît à l’occasion du retour. Lorsqu’aucun poste n’est disponible, l’entreprise peut licencier le salarié pour cause réelle et sérieuse. Cependant, il arrive, plus souvent qu’on ne le croit, que le poste soit disponible mais que la direction n’ait pas envie de reprendre ce salarié qui a pris un congé sans solde…
 

b) L’entreprise peut être tentée de contourner son obligation de réintégration

Généralement, l’entreprise contourne son obligation de deux manières :

  • Dans une première hypothèse, elle prend quelqu’un qui lui plaît en CDI sur le poste et prétexte que le poste est déjà pourvu, lors du retour du salarié. Dans ce cas, je demande la communication, sous astreinte s’il le faut, du registre du personnel et je regarde à quelle date et dans quelles conditions ce recrutement a eu lieu. La Cour de cassation juge que lorsque l’absence de poste disponible est imputable à l’employeur, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Notez que l’employeur peut embaucher en CDD de remplacement sans référence à la durée ou au délai de carence, ce qui explique cette position de la Cour de cassation.
  • Dans une deuxième hypothèse, si elle le peut, elle va proposer au salarié un poste de réintégration comportant un changement tel qu’elle espère que le salarié refusera. Par exemple, un salarié qui ne travaillait pas le mercredi, car il a des enfants, se verra attribué des horaires comportant le mercredi. Dans ce cas, il y aura plusieurs façons de démontrer que l’employeur est de mauvaise foi, ou qu’il a procédé à une modification unilatérale de son contrat de travail, et obtenir une indemnisation conséquente de la part du Conseil de Prud’hommes, ou dans le cadre d’un accord amiable, que je privilégie toujours.
     

IV- L’avenir des congés : vers plus de mobilité externe

Un diagnostic fait l’unanimité aujourd’hui : les salariés français ne sont pas assez mobiles géographiquement mais aussi professionnellement. Le congé sabbatique, très encadré, avait pour objectif de donner du temps libre au gens, c’était pensé avant le tournant de la rigueur de 1983.

Aujourd’hui, la loi de sécurisation de l’emploi, qui est sur le bureau du Conseil constitutionnel depuis le 15 mai dernier, crée la mobilité externe, sur la base de l’ANI du 11 janvier 2013 dont on parle beaucoup en ce moment.
Le dispositif à venir permettra au salarié d’une entreprise de plus de 300 salariés, de travailler pour une autre entreprise – non concurrente- pendant une durée fixée d’un commun accord. Cela permettra à celui qui souhaite changer de voie de conserver le droit au retour dans l’entreprise en cas d’échec du projet.


 

Rédigé par SYNDICAT CGT LOGISTIQUE CARREFOUR SUPPLY CHAIN

Publié dans #DROIT DU TRAVAIL

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