Grande distribution. Chez Carrefour, les profits positivent et l’emploi trinque

Publié le 31 Janvier 2018

Alexandre Bompard (au centre), et son équipe, lors de la présentation du plan Carrefour 2022. En décembre, comme ici, à Lomme (Pas-de-Calais), les salariés du groupe manifestaient contre les supp ressions d’emplois à venir. Philippe Wojazer/Reuters - François Lo Presti/AFP
 

Carrefour va supprimer 4 500 emplois et fermer 273 magasins en France, a annoncé hier son PDG Alexandre Bompard. Une décision saluée par la Bourse mais dénoncée par les syndicats, alors que le groupe est bénéficiaire et touche des aides publiques.

On comprend pourquoi le PDG de Carrefour a préféré laisser passer les fêtes de fin d’année avant d’annoncer le « plan de transformation » du groupe. Hier matin, dans le quartier francilien de la Défense, la facture des choix de la nouvelle direction, gardés secrets jusqu’au bout, est tombée. 2 400 « collaborateurs », comme Alexandre Bompard appelle les salariés du premier employeur privé de France, verront leur poste supprimé au siège du groupe situé dans l’Hexagone entre l’été et le début de l’an prochain, via un « plan de départs volontaires ». Pour 2  100 autres employés des magasins de proximité de l’ex- enseigne Dia rachetée par Carrefour en 2014, c’est un « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE) qui les attend, en clair : une procédure de licenciement collectif. Carrefour veut se séparer de ses 273 magasins, qualifiés de « foyers de pertes massives » (150 millions d’euros en 2017) pour le groupe qui a dégagé un bénéfice net d’environ un milliard d’euros l’an dernier.

Au total, près de 4 500 emplois devraient être supprimés chez Carrefour, si l’on additionne les 2 400 postes du siège du groupe et les 2 100 emplois des anciens magasins Dia, rebaptisés Carrefour Contact Marché ou encore Carrefour City.

« Nous n’avons pas d’autre solution que de sortir du groupe les magasins Dia qui sont en grande difficulté », a expliqué le PDG, Alexandre Bompard. Une annonce d’autant plus surprenante que Carrefour projette d’ouvrir au moins 2 000 supérettes dans les cinq ans dans les métropoles européennes. En attendant, le patron du groupe a promis de « chercher des repreneurs » pour chaque magasin. Mais ajoutant aussitôt : « Lorsque nous ne les trouverons pas, nous serons contraints de fermer. » Si le PSE se fixera comme priorité le maintien en poste des salariés par des repreneurs ou leur « reclassement au sein du groupe », Alexandre Bompard a d’emblée dissipé les illusions : il n’y aura pas de travail chez Carrefour pour tout le monde, le PDG estimant qu’il existe « une moitié (des salariés) à qui on peut faire des offres ».

Quant aux 2 400 postes du siège, si le patron a bien promis qu’« il n’y aura pas de départs contraints » et a refusé d’en passer par les nouvelles « ruptures conventionnelles collectives » low cost, leur préférant un plus classique « plan de départs volontaires », personne ne sait ce qui se passera si l’afflux de candidats à quitter leur emploi dans un grand groupe attractif (115 000 salariés en France) n’est pas au rendez-vous.

Alexandre Bompard, arrivé à la tête de l’entreprise cet été, justifie son projet, baptisé « Carrefour 2022 », par la nécessité d’adapter le « modèle » du groupe, qui « a été heurté de plein fouet par trois mutations profondes » : l’émergence de « plateformes mondiales » de commerce en ligne, « l’évolution des attentes des clients », devenus moins fidèles à une enseigne, et « la mutation des comportements alimentaires », davantage préoccupés de qualité. Plus prosaïquement, les motivations du patron sont financières : il veut enrayer la tendance à la baisse des profits, encore très confortables, en faisant la chasse aux coûts, matériels mais aussi humains.

La CGT et FO convaincues que la direction ne dévoile pas tout

Hier, la Bourse a salué ces annonces par un bond de l’action Carrefour d’environ 5 % à l’ouverture. « Le véritable but de ce plan est de satisfaire des actionnaires voraces, c’est un scandale pour un groupe qui réalise la moitié de son chiffre d’affaires mondial en France et génère un milliard d’euros de bénéfices », dénonce Tahar Khelladi, membre de la coordination de la CGT Carrefour, qui a mobilisé dès le mois de décembre en prévision de ces annonces.

D’autant que la CGT, tout comme FO, est convaincue que la direction ne dévoile pas toutes ses cartes. Outre la méthode de présentation du plan, qui a ulcéré les syndicats – « Que les salariés l’apprennent par la presse, c’est une erreur fondamentale », a ainsi réagi Sylvain Macé, représentant CFDT –, le chiffre de 4 500 emplois menacés ou supprimés pourrait être revu à la hausse, selon Tahar Khelladi. Depuis décembre, la CGT ne cesse d’alerter sur un plan inavoué de suppression d’emplois pouvant concerner jusqu’à 10 000 postes. « Alexandre Bompard garde des projets sous le coude, ce qu’il a présenté ce mardi ne correspond pas à ce qui nous avait été annoncé », estime Tahar Khelladi. Et le syndicaliste CGT de lister « la robotisation des plateformes et des caisses », ou encore « la restructuration des rayons multimédias ».

De fait, le détail du plan mentionne, intégrée à une enveloppe de 2 milliards d’euros d’investissements dans la « productivité » et la « compétitivité », une ligne sur « l’automatisation des plateformes de préparation de commande », sans préciser l’impact sur l’emploi. Mais ces transformations sont à mettre en relation avec les 2 milliards d’euros par an de « réduction de coûts » dès 2020 qu’entend réaliser Carrefour en s’attaquant à la « supply-chain », en français la « chaîne logistique », dans les magasins et les entrepôts, et qui concerne les métiers dans l’approvisionnement, la gestion des stocks, etc.

De même, le projet de réduction de 100 000 m2 de la surface des hypermarchés et le passage en location-gérance de cinq d’entre eux à Château-Thierry (Aisne), Montluçon (Allier), Flers (Orne), Cahors (Lot) et Saint-Lô (Manche) – avec, à terme, des pertes de deux mois de salaires sur l’année pour les employés concernés – inquiètent les syndicats. « On est sur quelque chose de bien plus vaste que ce qui est annoncé, Carrefour continue d’avancer masqué », a aussi estimé Michel Enguelz, du syndicat FO, qui appelle à une grève le 8 février.

Coincé entre sa ligne assumée de laisser-faire libéral et la nécessité de ne pas paraître indifférent à des destructions d’emplois de la part d’un groupe par ailleurs grassement subventionné par l’État (entre 2013 et 2015, Carrefour a perçu 1,2 milliard d’euros d’aides publiques en Cice et exonérations de cotisations sociales au nom de l’emploi), le gouvernement a réagi hier par la voix du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, en promettant d’être « vigilant sur l’accompagnement de chaque salarié » dont le poste sera supprimé… Une manière d’avaliser le plan Bompard. De leur côté, les députés communistes ont au contraire jugé « révoltante » la décision du groupe, qui fait « payer aux salariés des stratégies d’entreprise qui sont décidées en haut lieu », a dénoncé l’élu PCF des Bouches-du-Rhône Pierre Dharréville.

Rédigé par SYNDICAT CGT LOGISTIQUE CARREFOUR SUPPLY CHAIN

Publié dans #CGT carrefour contre le plan bompard

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